Au carrefour de l’orient et de l’occident, le flamenco est l'art qui bouleverse. Ce formidable moyen d'expression captive, émeut et transporte. Sa puissance vous prend au ventre. Souffrance et bonheur, vie et mort, c’est un éventail de sentiments et un nombre impressionnant de choses qui jaillissent du fond de l’être. On décèle dans les performances une énergie particulière passant de l’artiste au public, mais aussi des spectateurs à celui qui performe. Le « duende » est magique et signe cette communion pleine d’extase. Le flamenco, si souvent associé aux gitans, trouve ses origines dans bien des peuplades et dans de multiples contrées lointaines même si c'est bien ce peuple itinérant qui lui a donné son style. Ils ont contribué à sa diffusion par leur nomadisme. Côtoyer ceux qui évoluent de près ou de loin dans cet art, vous conduit à réaliser qu’il s’agit bien plus qu'un genre musical. Il s’agit d’une manière de penser, un mode de communication et un certain regard posé sur le monde. Forts de ces préceptes et autres adages, nous vous présentons une vision du flamenco qui est bien plus large que les performances artistiques qui s’offrent à vous dans les tablaos ou les festivals. À travers de rencontres, nous partageons dans ce dossier toute la passion qui anime ces femmes et ces hommes, celle qui fait du flamenco un véritable mode de vie…
Mille et un chemins empruntés par cet art
Issu de différentes cultures, le flamenco est un genre musical, une danse, une manière de gratter la guitare flamenca, mais c’est aussi une manière de vivre et toute une culture associée. Ce folklore populaire est tout cela à la fois et se résume difficilement. S’intéresser à ses origines relève d’un véritable casse-tête chinois. On retrouve ses racines au cœur du peuple andalou dans le triangle formé par Triana, quartier emblématique de Séville, Jerez de la Frontera (et ses barrios de Santiago et de San Miguel) mais aussi dans la ville de Cadiz. Si au départ, il ne s’agit que d'un chant à capella (el cante), il va évoluer au fil des siècles et empruntera mille et un chemins jusqu’à sa version contemporaine, véritable diamant aux multiples facettes, allant de styles épurés aux arrangements symphoniques élaborés. Le flamenco présente aussi à chaque destination andalouse, une ou plusieurs déclinaisons. La Zambra est la forme que l’on retrouve dans le Sacramonte de Grenade avec comme toile de fond la célébration du mariage gitan en trois étapes (alborea, cachuca et mosca). La Sevillana enchante les tablaos de flamenco de la capitale andalouse, las Rondeñas émerveillent la ville blanche de Ronda ou encore las Malagueñas égaient les nuits de Málaga, la capitale de la Costa del Sol.
Les gitans andalous ont contribué massivement à l’évolution du flamenco. En Andalousie, se sont installés les gens du voyage qui ont probablement le plus voyagé. Leurs périples et leurs errances les ont emmenés au Proche-Orient. Ils ont aussi traversé l’Inde et ont découvert l’Afrique du Nord. Constamment chassé, le peuple farouche a puisé dans les multiples chants sacrés entendus lors de leurs voyages pour créer le cante jondo, qui est encore aujourd’hui un véritable cri du cœur, exprimant leur douleur. Ce chant libre puissant traduit la fierté éprouvée par ces nomades. Les gitans, constamment rejetés, lui ont donné son style et par leur nomadisme, ils ont contribué à sa diffusion. Les voyages sont autant de sources d’inspiration et d’enrichissement pour cet art. Les cantiques liturgiques des chrétiens mozarabes (les troubadours du moyen-âge chantaient de la poésie inspirée des mozarabes), les berceuses poignantes chuchotées par les mères juives ou encore les rythmes latinos ramenés d’Argentine, de Cuba ou de Puerto Rico par les marins, le flamenco est le fruit d’innombrables influences.
Au XVIème siècle, les ports de Cadiz ou de Séville deviennent le refuge des poètes, des musiciens et des troubadours. Les navigateurs et les marins ramènent des quatre coins du monde de nouvelles musiques alors que le flamenco se répand dans les cabarets. Le siècle suivant, il gagne ses lettres de noblesse et envahit les théâtres. Poursuivant son évolution et son enrichissement, il séduit au début des années 1920, les élites et intellectuels, emportés par la vague du romantisme. Au carrefour des trois cultures (arabe, juive et andalouse chrétienne), il est devenu cet art incontournable qui a dépassé les frontières de l’Espagne et qui, depuis 2010, est inscrit au Patrimoine Mondial Culturel Immatériel de l’UNESCO.
Les origines du mot «flamenco»
Si l’on s’intéresse à l’étymologie du mot, différentes pistes peuvent être rencontrées. Une première peut être écartée d’emblée. Certaines théories avancent une origine arabe à ce mot. Il découlerait selon celles-ci de Fellah-mengu qui signifierait paysan errant. Sachant que le flamenco n’apparaît réellement qu’au XVIIIème siècle sur un territoire où la langue arabe n’a plus d’influence, cette première piste peut être écartée. Le premier écrit où le mot « flamenco » figure nous ramène en 1750 avec un ouvrage portant le titre de « Livre des gitans de Triana ». On y évoque une danse de douze vierges gitanes. C’est à cette même époque que les petits cabarets consacrés à cet art poussent comme des champignons à Séville et principalement dans le quartier de Triana. Une autre origine possible du nom nous conduit sur la piste d’un poignard à la lame courbée portant ce nom. Plusieurs écrits comportent cette expression particulière, « dégainer le flamenco ». Avec un peu d’imagination, la théorie approchant ce mot aux oiseaux échassiers n’est pas sans intérêt. Les danseurs ne sont-ils pas généralement grands et filiformes, busés à la taille, portant des vestes courtes et rappelant étrangement ces volatiles si majestueux? Enfin, le mot flamenco provient-il simplement des domestiques qui entouraient la cour du roi Charles Quint, lors de son installation à Grenade. Ceux-ci étaient originaires principalement de Flandres. On peut lire aussi dans certains documents historiques que dans l’Armée des Flandres, au service des rois d’Espagne de la maison des Habsbourg (basée dans les Pays-Bas, alors espagnols du XVIème au XVIIIème siècle), de nombreux soldats étaient de souche gitane. L’origine de ce mot est donc aussi floue que les racines de cet art.
Entre mystère et tradition
Le flamenco est à la base un simple chant a cappella, el cante. Certaines théories nous ramènent au XVème siècle où des chants monocordes islamiques, comme le cante jondo, hypnotisaient un peuple mixte composé de juifs, de maures, de chrétiens et de gitans sur les terres andalouses. L’aspect mélodieux de cet art découle de mille et une influences. Qu’il s’agit de psalmodies juives, de chants byzantins et mozarabes ou encore de constructions musicales indiennes, le flamenco est métissé. Plus tard, les musiques nouvelles ramenées notamment du Nouveau Monde enrichiront cet art. Il s’agit aussi d’une danse indissociable de la musique. Là aussi, les influences sont innombrables. La culture gitane est à la base une série de mouvements traduisant la personnalité de ce peuple espiègle, au fort tempérament et à la sensualité indéniable. S’y ajoutent les rythmes africains et caribéens, les danses indiennes ou du ventre, sans compter l’influence de la tauromachie et des mouvements du torero dans les arènes. Comment ne pas être envoûté par les mouvements hypnotiques et élaborés des doigts et des mains, ces floreos qui accompagnent les percussions typiques et rythmiques des pieds que l’on appelle zapateado. Quant à la guitare flamenca, elle conquiert le cœur de celui qui écoute le son clair qui s'en échappe, ce murmure légèrement métallique qui hypnotise. El tocaor est un magicien qui du bout des doigts peut vous plonger dans d’intenses émotions. Quant aux castagnettes, il s’agit d’un élément représentatif majeur du flamenco. Ces instruments de percussion dont les origines remonteraient selon certains écrits aux Phéniciens alors que d’autres historiens placent leur création en Égypte, deviennent au XIXème siècle bien plus que de simples instruments de musique. Les castagnettes deviennent comme élément d’accompagnement incontournable du flamenco. Il est facile de comprendre l’ascension de cet art dont la puissance et la personnalité fascinent. De cabarets en théâtres, de la vague du romantisme à l’influence de l’opéra flamand, de sa renaissance lors de l’après seconde guerre mondiale aux formes modernes appelées « fusions », le flamenco est modernité et tradition, il est le passé et l’avenir, il est en perpétuelle évolution, mais veille à conserver ses racines solides, il est passion, il est douleur, il est joie, il est misère, il est tout à la fois, il est unique…
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