Partons à la découverte de Lucena

Rédigé le 04/06/2024
Frederic André


Esprit Sud Magazine vous emmène dans la ville de Lucena, célèbre pour sa yeshiva (son centre d’étude de la Torah et du Talmud dans le judaïsme, dirigé par un rabbin). Cette unique « ville des juifs » en Europe entre les IXème et XIIème siècles est aussi appelée « Perle de Séfarade ». Cette cité, entièrement entourée de murs de fortification, était celle qui, lors de cette période de domination arabe El Andalus, comptait (uniquement et) le plus de juifs en Espagne. Aussi curieux que cela puisse paraître, à l’intérieur de son enceinte, ne vivaient en effet que de riches juifs. Hors de celle-ci, se côtoyaient dans différents quartiers, quelques juifs sans un sou, des chrétiens et des musulmans. Lucena a toujours accueilli de nombreux savants et scientifiques juifs et au cœur de la cité existait une faculté de savoir, à la renommée internationale. C’est la période du grand rayonnement de talmudistes comme Isaac ibn Gayat, Joseph ibn Migas et surtout, le célèbre Isaac Alfasi. Avec dans un premier temps l’arrivée des Almohades et ensuite avec celle des Almoravides, la paisible ville va se confronter à une certaine instabilité et face aux multiples pressions, elle va se vider progressivement de sa communauté juive. De nombreux juifs vont prendre la direction de Tolède, préférant la fuite que la conversion religieuse forcée. Les Almohades détruisent la ville en 1148, ce qui sonne le glas de Eliossana. 

Aujourd’hui, comme un hommage à ce passé glorieux de la ville, les noms affichés des rues du centre historique qui étaient inclues à l’intérieur de l’ancienne muraille, sont doublés d’une traduction en hébreux (et ce, par exemple, autour de la Plaza Alta ou de la Plaza Baja, les rues Flores de Negron, de Zamora, Ancha ou encore de Veracruz). On peut imaginer que durant ces siècles de présence juive, différente synagogue étaient dressées dans la ville, mais aucune trace n’ont été réellement retrouvées. Le site où trône l’Église de San Mateo a plus que probablement été aussi par le passé, un temple juif.   



Une ville à l’histoire riche et captivante 

C’est au cœur de la Sierra de Aras, que l’on trouve les premières traces de civilisations, datant de la préhistoire. D’abord ville ibère au nom de Elisana, elle prendra surtout de l’importance dès le début du VIIème siècle, avec les arabes qui la nommeront Al-Yussena. Elle deviendra deux siècles plus tard, une ville juive à l’importance capitale avant de se voir vidée, près de 300 ans après sa fondation, de sa population juive sous la pression des Almohades qui détruiront la cité fortifiée. En 1240, Lucena tombe dans les mains des troupes du Roi Ferdinand III et la principale mosquée devient un lieu dédié au culte de San Mateo. 
Entre 1333 et 1371, la ville repasse sous domination musulmane et c’est Pierre Ier dit Le Cruel, qui rend Lucena à la Couronne de Castille. La ville connaîtra de multiples assauts au XVème siècle notamment la célèbre bataille de 1483 à l’issue de laquelle, le Roi Boabdil fut prisonnier et enfermé dans le Castillo del Moral. Une autre page importante de l’histoire de la ville s’écrit avec la Guerre d’Indépendance du XIXème siècle où elle remplit un rôle capital. 



Plantons le décor… 

La ville de Lucena est située au sud-est de la province de Cordoue et en bordure des Sierras Subbeticas. Elle vit avant tout de ses terres dédiées aux cultures des oliviers et de céréales. Les traditions artisanales sont encore bien ancrées dans cette région avec des maîtres potiers réputés et des orfèvres talentueux. La ville de 42.000 habitants a aussi une renommée nationale pour la construction de meubles. L’arrivée du géant suédois, Ikea, a malgré tout freiné cette activité dans les années 90 mais quelques fabriques continuent à fonctionner et à produire de jolis meubles. Le bois ne provient pas ou peu de la région mais bien de la partie nord de l’Espagne. Une chaise géante présentant une assise renfermant des bureaux, peut être observée sur la nationale 331. Elle figure au Guiness Book des Records comme la plus grande chaise du monde. 

Côté gastronomie, l’essentiel des plats tournent autour de l’huile d’olive et des vins de Montilla-Moriles, villes situées à deux pas. On apprécie également le membrillo, la délicieuse pâte de coing, bombe calorique mais combien utile lorsque l’on travaille dans les champs. 

Logée dans une belle région, entre plaines et montagnes, on y retrouve notamment la Réserve Naturelle de la Laguna Amarga, qui peut se traduire par « étang amer » en lien avec le haut taux de sulfate de magnésium dans ses eaux. Les berges d’une autre lagune, la Laguna de los Jarales, offrent de belles promenades et un barrage créé par l’homme avec une réserve d’eau, la zone de l’Embalse Malpasillo est aussi un endroit magnifique. L’ensemble crée ce lieu particulièrement humide en plein cœur de la province, permettant à de nombreuses espèces d'oiseaux d’y trouver refuge.



La nécropole juive découverte, une ville enfin reconnue. 

En 2013, différents travaux d’aménagement du territoire sont réalisés et on débute la construction de la route sur le Cerro Hacho. C’est la surprise générale quand on découvre dans les sols un cimetière juif datant de plus de mille ans. On pensait tout d’abord à un charnier en lien avec la guerre civile de 1936-39 mais les premières constatations ne font pas l’ombre d’un doute, il s’agit bien de 374 tombes juives dans un excellent état de conservation. Ce sont aussi les restes de plus de 200 corps qui y sont retrouvés. La nécropole se visite aujourd’hui et c’est l’occasion de découvrir un site témoin du prestigieux passé de la ville. Ce cimetière découvert a été un élément déclencheur dans la mise en valeur du patrimoine de la ville en lien avec son passé séfarade. Une reconnaissance mondiale est initiée en janvier 2012, lorsque l’on assiste au replacement des corps dans la nécropole réaménagée en présence de 40 rabbins espagnols mais aussi provenants du monde entier, supervisant cette opération symbolique et veillant au respect des prescriptions des rites juifs. Des étoffes et des couches de briques ont été utilisées pour placer les dépouilles. Lors de la visite de la nécropole, on découvre une fontaine à ablution. Un vase spécial dit « keli » à double anse était utilisé afin de se purifier à la sortie de ce lieu qualifié d’impur. On se lavait d’abord une main et la main purifiée saisissait la deuxième anse sans toucher la main qui ne l’était pas encore. Une curiosité en lien avec les corps retrouvés attirera votre attention. Ils étaient en moyenne plutôt grand pour l’époque, dépassant souvent 1m70 (le corps d’une personne atteinte de gigantisme a également été exhumé, mesurant plus de 2m20). Certaines analyses démontreraient également une longévité tournant autour de 70 ans, ce qui est exceptionnel à cette époque. Une excellente hygiène de vie combinée à la présence de nombreux médecins et aux avancées scientifiques de l’époque pourrait expliquer cela.



Une Saint-Patronne chérie 

Les habitants de Lucena vouent une dévotion sans limite à Nuestra Señora de Araceli. Trois semaines, avant qu’elle ne soit célébrée (la Saint-Patronne de la ville est fêtée le 2 mai ; elle est aussi la Saint-Patronne des campagnes andalouses), c’est au travers d’une Romería, haute en couleur, que la figure de la Vierge (datant du XVIème siècle) quitte son sanctuaire situé au plus haut point de la ville (de ce point de vue exceptionnel, il est possible uniquement de cet endroit, en faisant un tour de 360 degrés d’observer les terres des 8 provinces andalouses). Elle va rejoindre la Paroisse de San Mateo pour 7 semaines avant de passer le reste de l’année dans son sanctuaire. Dans l’Église de San Mateo, vous tomberez à la renverse devant la beauté de la Chapelle du Saint-Sacrement, construite entre 1740 et 1772. Ce trésor est considéré comme l’une des perles du baroque cordouan et l’une des œuvres sculpturales les plus importantes du baroque andalou. Les couleurs bleue (pour la Vierge), rouge (Dieu et l’amour) et blanche (l’immaculée conception) dominent l’ensemble. Sept fenêtres permettent d’inonder l’espace de lumière, réfléchie par plus de 400 miroirs. 



Poussez les portes de la Casa Palacio de los Duques de Medinaceli

Derrière les superbes magnolias et la façade principale ornée d’armoiries, se cache un palais baroque magnifique. La Casa Palacio fut construite au cours du dernier tiers du XVIIIème siècle. On y découvre une maison dans des états de conservation et de rénovation exceptionnels avec notamment un splendide patio bordé de colonnes, un escalier majestueux et de nombreuses salles décorées avec du mobilier de l’époque. Un joli jardin complète l’ensemble. On y retrouve l’Office de Tourisme et l’entrée de ce palais est gratuite. Des salles d’exposition proposent des collections de peinture d’artistes locaux, des vitrines d’objets multiples retrouvés sur ses terres formant également un petit espace archéologique. 



El Castillo del Moral, l’impressionnante forteresse

Ce magnifique château a fait récemment l’objet d’une restauration. Début des années 2000, un premier projet voit le jour pour en faire un collège. La présence de nombreuses pierres et la particularité des lieux conduiront la mairie à changer d’avis. Finalement, le château est devenu le fier musée d’archéologie de la ville dans lequel on trouve également une salle consacrée au passé juif de la ville avec notamment une impressionnante maquette de la cité qui nous projette dans ce lointain passé. Le Castillo del Moral voit ses premières pierres posées après la fuite des juifs, en 1148. C’est donc sous les Almohades, au milieu du XIIème siècle, que des juifs vont ériger cette forteresse pour les musulmans. Quelques détails ne trompent pas, avec par exemple un arbre à sept branches gravé sur l’une des faces de la Torre del Moral, impressionnante tour octogonale. Quant à la Tour de l’Hommage, elle a été la prison du Roi Boabdil suite à une bataille dans la Sierra Aras. Il y a été enfermé deux semaines avant d’être finalement relâché. C’est en lien avec cette page de l’histoire que le bâtiment a été déclaré Monument Historique National. Le siècle suivant, il deviendra la résidence des Marquis de Comares. 



La ville de Lucena vaut véritablement le détour. Riche d’un passé glorieux, parée d’édifices religieux somptueux et de palais magnifiques, elle deviendra une étape incontournable de vos découvertes andalouses. Son passé juif, récemment valorisé par la découverte de sa nécropole, en fait une terre unique en Espagne même si aujourd’hui, il n’existe plus de communauté juive à Lucena. La plus importante communauté juive est située sur la Costa del Sol avec une concentration importante à Torremolinos. Cependant, deux coutumes populaires sont encore très vivantes à Lucena, héritée de ce passé séfarade. La première consiste à « pratiquer le samedi », c’est-à-dire à procéder à un nettoyage général de la maison en ce jour précis. Une seconde tradition veut que l’on blanchît à la chaux les façades des maisons et ce quelques jours avant la semaine sainte, probablement en souvenir des préparatifs traditionnels du nettoyage de Pessa’h, tout ce qui est en lien avec le nettoyage du printemps. Alors, partez avec émerveillement, à la découverte de cette perle du Séfarade !