Faut-il encore le présenter? Bernard Minier est devenu en douze romans, le roi du thriller. Traduit en près de 30 langues, il est l’un des auteurs les plus lus en Europe. « Glacé », le roman qui l’a révélé au public, fait partie des 100 meilleurs polars de l’histoire, répertoriés par le Sunday Times. Son nouveau thriller sorti début avril, « Les Effacées » donne de nouveau vie, à Lucia, l’héroïne de son dixième roman, éponyme. « Lucia » s’est vendu à 400.000 exemplaires en France et les droits d’adaptation du thriller viennent d’être acquis par Netflix, ce qui promet une série de 6 épisodes à succès. Avec son nouveau roman, Bernard Minier plonge le lecteur en Galice, à Madrid et à Cuenca pour suivre les traces de deux assassins, l'un ayant pris pour cible des milliardaires et l'autre ayant nourrit un dégoût profond pour les femmes. Notre équipe Esprit Sud Magazine a eu l’immense plaisir de rencontrer l’un des plus grands auteurs de polars contemporains, ayant vendu près de 8 millions de romans. C’est un passionné de littérature et un amoureux des mots que nous avons eu la chance de croiser le temps d’une interview que nous vous proposons aujourd’hui
Quels sont les premiers retours, quelles sont les réactions récoltées depuis le 4 avril, date de sortie de votre nouveau thriller « Les Effacées » ?
Le succès est au rendez-vous avec d’excellents feedbacks de lecteurs et un bon démarrage des ventes. Lucia a retrouvé son public et « Les Effacées » deux ans plus tard, prend le même chemin. Il est vrai qu’avec « Lucia », c’était un réel pari. J’étais un peu inquiet de l’accueil qu’allaient lui réserver mes lecteurs et avec ce deuxième opus, je réalise que ceux-ci se sont attachés à cette enquêtrice. J’ai fait le pari de leur proposer un personnage récurrent et c’est plutôt réussi puisque les lecteurs reviennent.
Vous plongez les lecteurs dans une intrigue touchant le milieu policier espagnol, en immersion dans le fonctionnement de la Guardia Civil, quel a été le travail en amont de votre écriture ?
Tout d’abord, je me suis rendu sur place, en Espagne, comme je le fais pour tous mes romans afin d’en préparer le cadre. C’était vrai pour « M, le bord de l’abîme » à Hong Kong ou « Une putain d’histoire » à Seattle et sur cette île au large. Je suis un peu cinéaste, je réalise des repérages et je pars à la recherche du décor parfait. Je prends des centaines de photos, je réalise des croquis et au départ, c’est essentiellement le côté visuel qui m'intéresse. Une partie de mon nouveau roman se situe à Cuenca où je me suis rendu récemment pour y recevoir un prix de roman policier. J’ai donc découvert cette ville un peu par hasard et je me suis dit qu’elle offrait un décor absolument parfait. Et puis, bien entendu, je suis également allé à la rencontre des membres de la U.C.O, Unité Centrale Opérationnelle, Unidad Central Operativa, l’organe central de la Police Judiciaire chargé des enquêtes, dont le siège est situé dans la banlieue de Madrid. J’ai pu rencontrer leurs équipes, discuter de tous les aspects du livre, aborder toutes les questions de procédure. En Galice aussi, j’ai rencontré de nombreuses personnes, je suis rentré dans les foyers, dans des zones peu ou pas touristiques. J’y ai découvert par exemple cette espèce de croyance, autour «del aire», avec ces espèces d'envoûtements ou de mauvais sorts. Des femmes « enlèvent l'air ». J’essaie de m'imprégner de la culture locale et d’y ajouter des éléments qui permettent de plonger en immersion dans la région où se déroule l’intrigue
Vous établissez donc un réel story-board avec les couleurs, les impressions, les ambiances, les us et coutumes…
Exactement, j’ajoute ces légendes urbaines, ces choses entendues, ces anecdotes récoltées au cours des voyages et des rencontres. Ça colore vraiment le roman et ça lui donne encore plus de consistance.
Vous avez placé, Bernard Minier, l'intrigue à Salamanca, en Galice aussi… A quand un roman écrit au départ de l'Andalousie ? Pourquoi pas à Malaga puisque vous êtes grand amateur d’art et vous n’ignorez pas que Malaga est devenu la capitale des Musées dans le sud de l’Espagne, ville culturelle aux mille attraits…
Il est vrai que je ne sais pas où se déroulera la prochaine intrigue, j’avance pas à pas, roman après roman. Je ne sais pas encore où ça se passera, la prochaine fois, je n’en ai pas la moindre idée. Mais la réponse est un grand oui. D'ailleurs, il y a une histoire que je vais publier dans un recueil de nouvelles policières et fantastiques, parfois de science-fiction, qui sort en automne. L’intrigue se passe dans le sud de l'Espagne, sans en préciser le lieu exact, au bord de la mer. Elle place le lecteur en plein cœur de cette période tendue où Franco vient de mourir. L’Espagne ouvre les portes à la démocratie. J'ai connu cette transition démocratique quand je me rendais, jeune adolescent, avec mes parents en Espagne et j’ai assisté à l’arrivée au pouvoir de Suarez ou de Felipe Gonzalez, avec la mobilisation de la jeunesse espagnole. Cette nouvelle parle un peu de cela.
Hâte de découvrir ce recueil et cette histoire...
Par contre, si un de mes prochains thrillers se déroule dans le sud de l’Espagne, ce ne sera pas à Grenade ou à Séville, je n’ai pas trop envie de parler de choses que les gens connaissent déjà. Finalement, je préfère faire découvrir aux lecteurs des lieux qu’ils ignorent. J’aurais adoré placer une série de meurtres dans la zone de la « mar de plástico », dans les serres de plastique à Almeria, mais cela a déjà été fait. Il me faudrait trouver des lieux plus confidentiels, qui sortent des sentiers battus.
Votre nouveau thriller comporte des thèmes assez universels, la violence faite aux femmes ou les inégalités sociales en lien avec la société fracturée, ce qui prend une dimension spéciale ici en Espagne. Même si ce sont des questions sensibles qui touchent tout un chacun, aux quatre coins du globe, il y a quelque chose de très espagnol dans la manière d’aborder ces thèmes…
Je voulais tendre un miroir à la société française, à mon propre pays, parce que je suis d'abord un auteur français. Même si l’intrigue se passe hors de nos frontières, j’ai abordé le thème des inégalités sociales comme un négatif de la société française, au sens photographique du terme. Ces manifestations avec ces gens qui descendent dans les rues et qui écrivent «mort aux riches» sur les façades des banques, vous le savez comme moi qu’en Espagne, ça n’arrive jamais. En fait, depuis les grands mouvements populaires des indignés, en 2011, la pression est retombée et la gronde sociale n'a rien à voir avec celle connue en France. En réalité, dans mon roman, ça ressemble plus à ce que nous avons, année après année, dans l'hexagone, avec les mouvements populaires d'ampleur parfois très violents, les réactions fréquentes d’un peuple en colère, depuis le début du premier mandat de Macron. Et pour les violences intrafamiliales et la « violencia de genero », ce sont des thèmes dont se sont saisis le gouvernement et la société espagnols, il y a de nombreuses années. En France, on est plutôt à la traîne…
Vous abordez aussi dans votre nouvel opus, l'émergence de la sous-culture incel qui désigne ces communautés en ligne dont les membres sont définis comme étant incapables de trouver une partenaire amoureuse ou sexuelle, vivant un célibat involontaire. Vous l'évoquiez en interview récemment, avec les exemples d'actualité comme le cas de Alek Minassian ou Elliot Rodger. Pourquoi voit-on émerger un tel phénomène?
Ces hommes s'apitoient sur leur sort et appartiennent à ces communautés en ligne. Ils peuvent devenir extrêmement violents à l'égard des femmes. Il y a une misogynie extrême voire même une promotion de la culture du viol. Je pense qu’ils se sentent menacés par les mouvements féministes comme « Me Too ». Ils voient un danger dans ce féminisme qu’eux appellent « ultra féminisme », menaçant leur identité masculine. Quand je discute avec les adolescentes de la nouvelle génération, je suis surpris d’entendre qu’elles constatent que le machisme revient plein pot, notamment sur les réseaux sociaux et en plein cœur de leur génération. Je trouvais intéressant d’aborder cela dans mon roman. L’idée me vient d’une criminologue espagnole, Paz Velasco. J’ai dévoré son ouvrage « Homo Criminalis » dont un des chapitres aborde les formes de criminalités sur internet, en dehors de la cybercriminalité au sens strict. Elle parle de cette sous-culture incel. A partir de là, je me suis dit que c’était extrêmement intéressant, de plus est, c’est une criminologue espagnole. Je me suis dit que cela avait du sens aussi en Espagne.
D’une manière générale, cela attire aussi l'attention sur ce phénomène qui est aussi un symptôme de notre époque, celui des relations humaines qui semblent de plus en plus compliquées. Les jeunes ont du mal à se lier les uns aux autres et cela conduit dans certains cas extrêmes, à l'émergence de ces personnalités « pathologiques », ne sachant pas nouer de relations classiques avec les femmes…
Oui, tout à fait. Le problème réside dans les réseaux sociaux. Je tape sur ceux-ci depuis pas mal de livres. Dans « La chasse » ou dans « La vallée », j’attire l’attention sur les aspects très négatifs et inquiétants d’internet. Étienne Klein a dit judicieusement « qu’en quelques clics, on peut se constituer un chez soi idéologique, une espèce de bulle où on est enfermé et où on ne rencontre que des gens qui sont d'accord avec nous, où il n’y a plus de place pour le débat». Nous nous enfermons dans un clan, où les valeurs deviennent plus fortes que celles du vivre ensemble et du contrat social qui nous unit tous. A partir de là, on a une société qui se morcelle, il n’y a plus de contestation, ces valeurs deviennent la norme. Des personnes s’isolent, s'enferment dans leur couloir en quelque sorte. Elles ne se regardent plus et ne se parlent plus. Aujourd’hui, nous assistons, passivement à tout un tas de phénomènes, sans possibilité de dialogue.
Exactement. C'est en lien avec une question sur les adolescents et jeunes adultes, l’un des thèmes de votre thriller « Les effacés ». Comment analysez-vous cette génération 2024, hyper connectée, les yeux rivés dans TikTok, en perte de repères, une crise exacerbée après cette période difficile du COVID, des confinements…
C’est terrible en effet, c’est très compliqué pour eux en ce moment. En France, il y a un grand débat sur l'éducation nationale, sur le fait qu'il faut remettre l'éducation civique sur les rails. Ceci en lien avec un autre débat sur le temps passé sur les téléphones portables, les écrans… Je suis sidéré de voir de très jeunes enfants accrochés à des téléphones et des tablettes en permanence. Pour moi, ces générations sont en danger car derrière les écrans, ils se laissent convaincre de choses qui normalement ne devraient pas passer. Les jeunes sont malléables et arrivent à croire à tout un tas de choses. Les fake news sont plus nombreuses que les informations vérifiées et ces algorithmes se fichent éperdument de savoir si ce qui vous est communiqué est réel ou pas. Tout ce qu’ils veulent est de vous garder sur leur fichue application. Et c’est un véritable danger. Mark Twain disait qu’un mensonge peut faire le tour de la terre, le temps que la vérité mette ses chaussures. C’est encore plus vrai aujourd’hui avec toutes ces applications et tous ces algorithmes.
Exactement, il y a aussi ce rapport à l'information, la passivité de ce jeune public sans ce rôle actif de chercher l'information. Elle vient à lui et devient « la » vérité, celle sélectionnée par les algorithmes…
…en fonction des clics que la personne a déjà fait. C'est à dire qu'elle la confirme. C'est ce qu'on appelle le biais de confirmation, elle endurcit une vérité choisie, même dans ses erreurs, jusqu’à l’absurdité ou de véritables dangers finalement. Et par ailleurs, je trouve que cette génération parle tout le temps de tolérance et d'inclusion. Or, sur les réseaux, elle est furieusement intolérante. Une génération, championne du monde du harcèlement en ligne ou du harcèlement tout court, regardez ce qui se passe à l’école. Il y a quand même un gros problème avec cette génération qui arrive. C’est vraiment une question sensible et très importante car il en va de notre avenir à tous. Et évidemment, d'ailleurs, certains l'ont très bien compris. Dans les universités, certains font de l’entrisme,technique d’influence pour faire entrer des jeunes dans des organisations. Un autre constat flagrant est qu’aujourd’hui, l’apprentissage des sciences n’est plus une priorité. Nous baignons dans une société du savoir et pourtant, le savoir n'est plus considéré comme il devrait l'être. On vit des sciences, notre téléphone en est le pur produit. Or, cette formation scientifique, je trouve que les professeurs ne l'ont plus. J'ai écrit une nouvelle sur ce thème. Elle traite d’un médecin légiste qui parle de son métier, relatant notamment que c’est grâce à ce qu’il a appris de la médecine occidentale à la faculté qu’il lui est possible de déterminer les causes de la mort d’une personne. On tente à l'oublier aujourd'hui, car même si je n’ai rien contre ces naturopathes et autres, la science est au cœur de tout. Eux aussi utilisent le téléphone et les ordinateurs, la science est derrière tous ces appareils. Derrière ces médecines parallèles, il existe aussi une médecine classique, avec des théories vérifiables, des raisonnements scientifiques. Reléguer les sciences en seconde zone, c’est ouvrir la porte à toutes les formes de pensées magiques et irrationnelles.
Soyons un peu plus léger, même s’il s’agit d’une question un peu difficile. Comment devient-on le roi du thriller ? Vous êtes-vous déjà demandé quelles étaient les raisons de votre succès ?
Tout d’abord, je ne me les explique pas et surtout, je ne cherche pas à les comprendre. Je n’ai pas envie d'appliquer une recette froidement apprise, celle du succès. Je dis souvent, j’aime cuisiner les plats que j'ai envie de manger. Et pour l’écriture, c’est la même chose, au fond, je suis lecteur avant d'être auteur. Il me plaît d’écrire les histoires que j’aimerais lire. Quand j’écris des thrillers, ils sont ceux que j'aimerais trouver chez mon libraire. Attention, cela ne veut pas dire que mes confrères ne sortent pas d'excellents polars, mais voilà, je mets dans mes bouquins tous les ingrédients que moi en tant que lecteur, j’aime retrouver. Créer une atmosphère et un climat, choisir un décor, générer une tension…
C’est donc la formule magique d’un bon thriller, c’est l’une de mes questions suivantes, que vous avez anticipée… Comment distingue-t-on, selon vous, un excellent thriller et un thriller moyen?
Tout ce que j'aime trouver dans un roman, j'essaie de le mettre dans les miens. Même si pour être honnête, je n’y parviens jamais complètement. Il y a toujours entre le roman idéal que j'ai en tête et le résultat final, un hiatus. Il y a aussi l'écriture, il faut qu'il y ait un style, une qualité d'écriture, ce n’est pas toujours le cas aujourd'hui, malheureusement. Trop de romans policiers sont publiés par des maisons d'édition qui ont bien réalisé que le roman policier a le vent en poupe, sans trop les sélectionner. Je veux dire qu'avec trop de romans policiers, cela pourrait un jour tuer le genre, c'est un peu le danger. Donc, il y a la qualité d’écriture et surtout tenir le lecteur en haleine. Notre mission est de veiller à ne pas ennuyer celui-ci. Il recherche un roller coaster émotionnel mais il est aussi attaché au fait de retrouver de la substance aussi, du fond, il faut qu’il y ait un vrai propos derrière.
Et le talent de l’auteur …
C’est ce « quelque chose d'impalpable », pour le coup irrationnel, en tout cas d'immatériel, qui tient à la personnalité de l'auteur, à son travail et à plein d’autres choses. On peut partir d’une série de points comme si l’on faisait la liste des courses. Il faut cela et cela pour atteindre une certaine qualité mais c'est plus que cela.
Autre question que j’aimerais vous poser, Bernard Minier. Vous êtes d’une certaine manière, dans une cage dorée, une position liée au succès de vos romans policiers. N’est-ce pas compliqué pour vous ? On attend de vous de faire des polars et on vous enferme dans cette case alors que peut-être vous aimeriez écrire autre chose. Ne vous dites-vous pas « je suis auteur de thriller point et je me refuse à emprunter d'autres chemins » ?
C’est vrai que cela peut être un piège. Mais là, j’ai envie de l’ouvrir un peu cette cage et c’est la raison pour laquelle, je vais publier un recueil de nouvelles à l’automne. Le lecteur y trouvera des nouvelles de différents genres, science-fiction ou fantastique aussi. J’avais envie de montrer autre chose à mes lecteurs que du thriller. Il est vrai que je suis arrivé au polar tardivement, à la cinquantaine, mais j'ai écrit des tas d’autres choses avant. L’idée d’écrire un roman fantastique m’attire mais, en fait, ce qui me fait défaut, c'est le temps. Évidemment, il faut dégager du temps. De plus, je ne suis pas un auteur rapide, je fais plutôt partie de la race des escargots, même si j'écris tous les jours. Le temps est le défi de tout écrivain et en dégager est difficile, encore plus pour les auteurs débutants. Ils me demandent souvent des conseils. Je leur réponds que le premier défi est de dégager du temps et lorsque l’on a un boulot et une famille, c’est loin d’être simple. Mais pour en revenir à votre question, vous avez raison, c’est un vrai défi d’écrire autre chose qu’un thriller. Je ne suis pas certain que mes lecteurs me suivraient sur un roman de science-fiction, je ne suis pas sûr du tout, mais je le ferai sans doute un jour.
Quels autres conseils pouvez-vous apporter aux jeunes auteurs?
Clairement le temps, écrire un quart d’heure par-ci et un quart d’heure par-là, honnêtement cela ne marche pas. Isolez-vous, enfermez-vous ou oubliez cette idée d’écrire, c’est un sacrifice nécessaire sinon vous n’y arriverez pas. J’en reviens aussi à l’une de vos premières questions, écrivez ce que vous aimez. Lisez beaucoup et mettez dans vos écrits tous les ingrédients que vous appréciez lire.
Comment décririez-vous l'écrivain derrière « Glacé » et celui derrière « Les effacées » ? Quelle est l’évolution de celui qui tient la plume ?
C’est une sacrée question. Honnêtement, il y a le confort matériel qui n'a plus rien à voir avec les conditions de mes débuts. Désolé de débuter par ce côté là, mais c'est quand même ce qui me frappe d'emblée. Ma vie a changé radicalement, du point de vue financier, c’est du tout au tout. Je n’ai clairement plus le même niveau de vie que du temps où j'étais contrôleur des douanes. Je ne vis d'ailleurs plus dans le même quartier, dans le même genre de maison. Ensuite, ce qui a changé pour l'écrivain proprement dit, en dehors du côté matériel des choses, c’est que je suis beaucoup plus sûr de moi aujourd’hui, je doute beaucoup moins qu’à mes débuts. Quand j'ai écrit « Glacé », je reprenais mes textes, j’étais toujours dans le doute. Aujourd’hui, je les retravaille évidemment beaucoup, mais à l'époque, j'avais une insécurité que je n’ai plus. Cela vient avec l'expérience, c’est ce qui fait la différence finalement. Je sais exactement quand j'écris quelque chose, si c'est bien ou pas et je gagne du temps.
Vous êtes, Bernard Minier, sous le feu des projecteurs depuis quelques années maintenant et on vous a déjà posé des centaines de questions. Quelle est la question que l'on ne vous a jamais posée et que vous aimeriez que l'on vous pose?
Je crois que je ne me suis jamais posé cette question non plus. Je suis aujourd’hui un écrivain à succès, mais je suis un écrivain du moment, je veux dire ancré dans son époque. Prenons l’exemple de certains auteurs des années 30, que je lis beaucoup, certains étaient des méga sellers (gros vendeurs) à l'époque. Ils étaient bien plus connus que par exemple, André Gide, Marcel Proust ou encore Gustave Flaubert. Et aujourd'hui, ils sont totalement inconnus. La question que l’on ne m’a jamais posée, peut-être serait celle-ci « que choisir, entre la postérité ou le succès que j'ai aujourd'hui ?»..
Et votre réponse, je vous la pose maintenant ?
Je pense qu’une fois que je mangerai les pissenlits par la racine, la postérité, je n'en aurai rien à faire. Voilà, c'est ça la réponse.
C’est assez drôle car c’est aussi une réflexion que m’avait tenu Marc Levy lors de notre rencontre. Il avait également évoqué ce dilemme…
Ah oui c’est drôle, comme quoi, on doit se reconnaître.
Pouvez-vous nous dire un mot sur le projet de la série qui va prochainement être réalisé au départ de votre thriller « Lucia » ?
Il s’agit d’une très bonne nouvelle. C'est Nosotromo Pictures, boîte de production espagnole qui a acquis les droits. C’est Adrian Guerra et qui est derrière de très belles adaptations.
D'abord, il ya aussi cette excellente nouvelle financière, n’est-ce pas ?
Détrompez-vous. Financièrement, à ce stade-là, non ce n’est pas ce que l’on peut penser le jackpot. Une option, vous savez, ce n’est pas grand-chose. En réalité ce sont des sommes assez faibles, cela ne paie même pas les impôts sur un mois (rires), vous voyez. Ce qui devient important, ensuite, c’est ce qui se passe derrière. Je me réjouis car Adrian Guerra a fait des choses formidables. Le showrunner est choisi, il a marqué son accord et c’est un excellent scénariste, un des meilleurs du moment. Il est déjà en possession de 3 Goya (l’équivalent des César en Espagne). C’est formidable qu’il s’agit d’une série espagnole produite par un grand producteur espagnol avec des acteurs espagnols, cela veut dire qu’ils croient à mon histoire et ça c'est formidable. Et ce qui est encore plus formidable est que je ne suis pas un auteur espagnol et qu’à partir d'une traduction, il y aura cette adaptation. Il s’agit quand même d’une très belle reconnaissance de mon travail. Si ce n’était pas crédible, si ce n’était que des clichés ou des stéréotypes, si c'était « Emily in Madrid », je pense qu’ils n’auraient pas embarqué dans cette aventure.
Allez-vous étroitement collaborer avec le scénariste ou n’aurez-vous aucune intervention dans le cadre de la réalisation de cette série ?
Je ne pense pas que j’interviendrai. Bien entendu, je vais rencontrer le scénariste, le showrunner, afin que l’on discute un peu des personnages, en particulier de Lucia. Mais après, je pense qu’ils prendront la direction qu’ils souhaitent prendre. J’ai toute confiance, comme je vous le disais, il a reçu 3 Goya, ce n’est pas rien. Il connaît son métier mieux que personne, ce ne sera donc pas en tandem. Et j’ai cette idée que les meilleures adaptations sont souvent des trahisons. Prenons l’exemple de Kubrick, dès la première minute, son génie éclate à l'écran. Et la plupart de ses films sont des adaptations d’œuvres littéraires, « Lolita », « Orange mécanique », … mais il en a fait tout autre chose. Je suis d’avis que quelquefois, il vaut mieux un peu trahir pour réussir une adaptation plutôt que de respecter scrupuleusement et au final, aboutir à un résultat moyen. Que le scénariste se sente libre, plutôt que d'avoir un auteur derrière lui qui surveille chaque scène, de manière procédurale. Les adaptations figées, trop fidèles, fonctionnent rarement.
Vous nous évoquiez votre adolescence avec ce retour en Espagne qui vous a inspiré une nouvelle. Votre mère avait fui l’Espagne de Franco. En parlait-elle avec vous ?
Cela nous est arrivé d’en discuter mais ce n’est pas un sujet que l’on abordait souvent. Ma mère, qui est décédée il y a dix 10 ans maintenant, 10 jours d’ailleurs avant la parution de mon premier roman « Glacé », avait sa vie en France et appartenait à cette génération d'immigrés qui voulait être Français avant tout. Par exemple, je n’ai pas appris l'espagnol à la maison, on ne parlait que le français chez nous. Cette génération considérait qu’il fallait tourner une page. Personnellement, j'ai découvert tout cela en me rendant là-bas, je me rappelle de cette époque de transition démocratique, de cette fameuse tentative de coup d'État de l’ancien colonel de la Garde Civile, nostalgique du régime franquiste, Antonio Tejero Molina, en 1981. Certains regrettaient ouvertement la période franquiste.
Quels sont vos futurs projets ? Vous m'avez déjà éclairé sur la sortie de ce recueil de nouvelles en automne. Qu’en est-il aussi de vos projets plus personnels ?
Je vais bientôt embrayer sur le prochain livre, je n’aime pas les vacances donc je suis bientôt reparti pour un tour. Là, c’est le temps des interviews, de la promo et de mes lecteurs, ce n’est pas le temps de l'auteur. Finalement, quand les lecteurs se mettent à lire le roman, l'auteur, lui, il est déjà ailleurs. Je voyage beaucoup car j'ai la chance d'être traduit en de nombreuses langues et donc je me rends là où l’on m’appelle. J'étais en janvier en Bulgarie, en février en Espagne, là, je reviens de Rome, il y a eu récemment Marseille, la Pologne et là, je pars prochainement à Athènes.
Et côté passion, à part l’écriture et la lecture ?
La lecture, c’est quand même une très belle passion. J’ai la chance d’avoir une bibliothèque très fournie ce qui me permet d’être bien occupé. Je regarde aussi beaucoup de séries. Je trouve qu'il y a des choses formidables qui se font aujourd'hui. Elles sont profondes, les scénarios sont fouillés, il y a une créativité incroyable. Le cinéma aussi et puis j’écoute aussi beaucoup de musique.
Un récent coup de cœur côté série ?
Je citerais cette série formidable, « White Lotus ». La saison 2 est juste incroyable. Elle m'a totalement bluffé. Je trouve que l'écriture est remarquable. Les acteurs sont fantastiques, les dialogues sont excellents, le générique est fabuleux… C’est d'une intelligence et d'une finesse assez remarquables. Ils annoncent une troisième saison et je suis impatient.
Merci Bernard Minier pour cette belle discussion, cela a été un réel plaisir de partager ce moment avec vous. Tous les succès pour la suite et vos différents projets.
Merci à vous et à bientôt en Andalousie !