Dani Klein, des VAYA CON DIOS

Rédigé le 26/12/2021
Frederic André

C’est à Osuna que notre équipe s’est rendue pour rencontrer très clairement une fierté belge. Et nous ne nous sommes pas trompés. Le temps d’une journée, partager le quotidien de Dani Klein, découvrir ses passions et son univers et discuter à bâtons rompus et sans langue de bois, c’est un véritable enchantement. Un pied dans son Bruxelles natal et l’autre en Andalousie, elle nous a reçus dans sa « finca » d’Osuna où elle a passé pas mal de temps ces dernières années. L’artiste nous a ouvert les portes de sa maison, de son cœur aussi et nous a fait l’immense plaisir de répondre à nos questions. Dani Klein nous a aussi fait découvrir les endroits qu’elle affectionne dans sa ville d’adoption et s’est (un peu) dévoilée. 

Armée d’une intelligence claire et sensée en toutes choses, elle revient sur sa brillante carrière. Anticonformiste est un qualificatif qui lui sied à merveille. Non dans le sens d’être en marge des normes et du rejet pur des règles mais plutôt comme le décrivait si bien Eugène Ionesco dans « Rhinocéros », l’anticonformisme qui caractérise les personnes fidèles à elles-mêmes, qui refusent de penser continuellement comme les autres ou qui rejettent l’idée de simplement être comme eux. Elle nous parle sans fard, sans artifice et aborde avec nous des sujets qui lui tiennent à cœur. Dani Klein est une femme qui se pose continuellement des questions sur la vie, sur le sens de celle-ci. Quels sont ses rapports avec les autres, sur le monde, avec cette détermination à comprendre l’autre mais à se connaître aussi. 

Quelle surprise de vous retrouver ici dans le sud de l’Espagne, Dani Klein !

Mon coup de foudre avec l’Andalousie trouve sans doute ses prémices avec mon père qui jouait de la guitare classique espagnole. C’était un excellent mélomane, guitariste amateur et collectionneur de vinyles. Il aimait toutes les musiques, sauf la musique Rock, du classique à l’opéra, en passant aussi par le jazz ou les musiques traditionnelles d’autres pays. Il avait cette passion pour les musiques du monde, les guitaristes ou musiciens classiques flamencos par exemple. D’ailleurs, petite anecdote. Il y a quelques années, je reçois un couple d’amis andalous à Bruxelles. Mon ami, guitariste amateur, jouant également au piano et dont le père était chef d’orchestre dans la fanfare d’Osuna, découvre dans l’impressionnante collection de disques de mon père, ceux d’un pianiste célèbre, né à Osuna. Sa surprise est de taille car il connaissait cet artiste, ami proche de son père, premier à jouer du flamenco au piano. L’instrument qui lui appartenait trônait d’ailleurs dans leur salon. 



Écoutez-vous de la musique flamenco ? 

J’ai toujours beaucoup apprécié ce genre musical que mon père m’a fait découvrir en m’emmenant voir des spectacles de flamenco au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. C’était magique. Ici aussi, d’ailleurs, il s’organise un festival de flamenco, à Osuna. Des artistes à la renommée internationale y participent chaque année. En été, il y a beaucoup de villages andalous qui proposent des concerts de flamenco, La Puebla de Cazalla, Ecija, Utrera, ... 
J’y vais chaque année. Le spectacle qui m’a littéralement subjuguée est celui que donne la famille Farruco à la période de Noël à Séville. C’est une musique passionnelle qui se vit plus qu’elle ne s’écoute. que j’écoute avec plaisir. Je ne l’ai par contre jamais fait entrer dans mon univers musical. Je n’ai jamais pu le chanter car les figures rythmiques en 12 temps restent une énigme pour moi. 



Qu’appréciez-vous en Andalousie, la culture, la qualité de vie?

C’est un ensemble de choses. J’aime avant tout les climats extrêmes. J’aime ça le très chaud et le très froid. Ici l’hiver, les températures dans l’arrière-pays peuvent chuter énormément. Les paysages sont également magnifiques. Regardez la vue, c’est juste impressionnant. (Dani Klein nous présente la vue de sa terrasse où se découvre, au loin, la ville d’Osuna). Ce qui me plaît aussi c’est l’identité culturelle forte de cette région, ce qui n’est pas le cas à Bruxelles. Les Andalous ont un tempérament pouvant être très extrême et cela correspond à ma nature. Ici quand les Andalous font la fête, ils la font jusqu’aux petites heures de la nuit, quand ils prient, ils prient avec dévotion... Rien n’est tiède, j’apprécie vraiment cela. Ils prennent les choses avec dérision tout comme les Bruxellois. On rit beaucoup et de tout, ici. J’aime l’humour de « Los Morancos », ce duo d’humoristes de Triana (quartier de Séville). Les groupes interprétant des satires mises en musique à Cadix, ils sont fabuleux. Ils chantent, dansent et véhiculent des messages aussi drôles que sulfureux... 

Lorsque l’on désire dresser le portrait de Dani Klein, on retrouve certaines constantes. Une femme très classe, discrète mais en même temps peu conventionnelle, qui n’a pas sa langue dans sa poche. L’image d’une femme forte aussi qui a réussi là où les hommes autour de vous ont eu moins de chance. Pensez-vous correspondre à cette image ? 

C’est vrai que je ne suis pas quelqu’un de facile mais j’ai envie de dire que c’est tant mieux. Tout mon parcours n’a pas été simple, c’était loin d’être un long fleuve tranquille. Le « marché de la musique » est féroce et très exigeant. Discrète, je le suis devenue avec le temps quand je me suis rendu compte qu’en réalité, j’avais peu d’affinités avec la célébrité. J’ai bien entendu été flattée par le succès au début mais j’ai très vite réalisé à quel point c’était une prison. Je déteste l’idolâtrie, le fanatisme lié à cela. Être suivie par des fans, se faire aborder dans la rue pour des autographes, cela ne me nourrit pas. Maintenant, ce qui va avec la célébrité et le succès est cette possibilité d’être attendue, d’être demandée et dès lors de faire ce que l’on aime. C’est un sentiment ambivalent. Cela a ses avantages mais aussi ses inconvénients. 

« What’s a woman » in 2021 ? Qu’est-ce qu’une femme en 2021 ? La condition féminine est une cause qui vous tient à cœur. Vous vous êtes un peu dévoilée il y a quelques années en témoignant de vos souffrances du passé en lien avec la maltraitance conjugale. 

C’est vrai que j’ai connu côté vie privée moins de succès que côté carrière. Assez souvent, les femmes ont malheureusement cette tendance à s’amouracher de salauds. Dépendance affective, les coups, l’emprise et la difficulté d’en sortir, exister pour quelqu’un et non pas pour soi-même, tout cela j’ai connu. Je pense m’être libérée de cela maintenant.
La violence machiste est encore bien présente ici dans le sud de l’Espagne, même si les campagnes de prévention se multiplient et que les femmes osent prendre la parole et dénoncer... 
Installée ici depuis 2007, c’est vrai que je peux remarquer une évolution. Des organisations se sont créées et sont de plus en plus actives. Une sorte de prise de conscience. Je me souviens notamment d’une campagne dans la « Juderia » de Cordoue, avec l’image d’un nombre impressionnant de draps ensanglantés portant les prénoms des femmes tuées par leur conjoint, tendus entre deux façades. Les codes culturels sont fortement ancrés ici sur les terres andalouses. Les femmes ont leur place dans la cuisine et elles ont l’obligation de se taire. C’est un monde très macho, sans doute davantage que dans le nord du pays ou dans les grandes villes mais c’est en train de changer. Lentement, certainement, mais sûrement car les femmes se réveillent. 

Vous avez fait le choix de prendre le chemin de la psychanalyse, un double chemin car vous avez été patiente mais vous êtes aussi devenue psychothérapeute.

Il m’était essentiel de comprendre pourquoi je retombais dans les mêmes situations. Pourquoi j’optais pour des mauvais choix. A un tel point que je me suis dit parfois, avec fatalisme, peut-être que je ne vaux pas plus que cela. J’ai donc décidé de consulter. Ensuite, j’ai aussi repris des études, en philosophie. 

Peu de personnes savent que vous avez repris vos études à 47 ans...

J’en éprouvais le besoin. Et j’ai toujours aimé la philosophie, Sartre, Hannah Arendt, Jacques Lacan, Thomas Hobbes et sa célèbre phrase, « L’homme est un loup pour l’homme »... Mon philosophe préféré est Baruch Spinoza, son rejet de toute transcendance divine, Dieu et la nature, ... 

La nature, justement, elle est belle ici en Andalousie...Vous aimez vous y replonger lors de vos aller-retours Bruxelles-Séville?

C’est vrai, la beauté des paysages, la magie des villages tels que Setenil de las Bodegas ou El Torcal d’Antequera. Pour moi, je fais de plus en plus le parallélisme entre l’art et la nature. C’est dans celle-ci que se nichent les plus belles œuvres. Les expositions et le marché de l’Art à Bruxelles, à Londres, à New York et à Paris sont devenus un must pour les bourgeois. Il y a ceux qui spéculent, qui investissent ou qui se sentent importants parce qu’ils possèdent des œuvres cotées. Il y a ceux aussi qui visitent toutes les expositions pour pouvoir en parler lors des dîners et jouer aux intellos. La plupart n’y comprend rien. Leurs propos feraient frémir d’effroi les artistes dont ils commentent les œuvres. L’art contemporain est une construction qui reflète une société mercantile. C’est ainsi. Pour moi, l’art c’est la nature. Maintenant, j’apprécie par exemple me rendre une ou deux fois sur l’année à Madrid pour visiter le Prado ou le Musée Reine Sofia. 



La cause animalière vous tient à cœur, on sait que les Espagnols n’ont malheureusement pas les mêmes rapports avec les animaux que les Belges ou les Français par exemple, même si on peut noter une certaine évolution... 

Je vis dans la campagne andalouse et il est vrai que dans l’arrière-pays, la condition des animaux m’attriste et me révolte. Prenons les chiens de chasses, gardés dans des espaces ridicules et sous-alimentés. Beaucoup d’animaux ici sont maltraités et l’idée de créer un lien avec un chien est quelque chose qui est peu répandu. Ils doivent servir à quelque chose et doivent rapporter quelque chose. Ce sont des instruments. Je soutiens par exemple l’association « Galgos del Sud » (les Galgos correspondent à une race de chiens ; www.galgosdelsur.com). La pratique de pendre un chien malade ou qui ne servait plus à rien à la branche d’un olivier, est maintenant interdite, bien heureusement. Par contre, je suis scandalisée de voir comment les chasseurs continuent à maltraiter leurs chiens. Ils les abandonnent quand ils ne sont plus performants. J’en ai déjà recueilli une dizaine. Et ne parlons pas des chiens errants et du sort qu’on leur réserve. Le garde-chasse tire dessus et je le soupçonne d’ailleurs d’avoir tué deux de mes chiens qui s’étaient échappés. Mais de plus en plus de voix s’élèvent et les choses commencent à changer. 

Que préparez-vous Dani Klein ? Avez-vous des projets qui vous tiennent à cœur ? Peut-on imaginer une collaboration avec votre fils (il s’agit de Simon Le Saint, artiste DJ, féru de hip-hop, ayant collaboré avec Stromae) ? 

Simon est très talentueux. Il me fait souvent écouter ses nouvelles productions. Nos univers sont très différents et il mène habilement son propre chemin. Au niveau personnel, j’ai enregistré quelques-unes de mes chansons avec des arrangements acoustiques, dans le cadre d’une série. Cet album sortira en septembre 2022. 

Merci pour le moment que vous nous avez accordé, Dani Klein. Je terminerai avec ces paroles, « Je continue ma vie d’artiste. Plus tard sans trop savoir pourquoi, un étranger, un maladroit, lisant mon nom sur une affiche, te parlera de mes succès. Mais un peu triste, toi qui sait, tu lui diras que je m’en fiche ». Vous reconnaissez ces mots ? 

Oui, Léo Ferré, « La vie d’artiste ». C’est une chanson que j’ai chanté live dans une émission de France Inter. J’ai découvert Ferré, alors que j’avais 12 ou 13 ans. Je n’écoutais pratiquement que lui. Des textes d’une beauté infinie, puissants, violents, tendres… Ferré est un grand poète anarchiste qui chante le monde et l’humanité tels qu’ils sont. « Avec le temps », « C’est extra », …