María Blanchard et sa toile « Composition avec tache rouge »

Rédigé le 04/03/2024
Frederic André


Dans notre rubrique « Une artiste, une Œuvre », nous vous proposons aujourd’hui de s’intéresser à Maria Gutiérrez-Cueto Blanchard, plus connue sous le nom de María Blanchard et à sa toile « Composition avec tache rouge ».



Cette pièce unique est un cri d’amour. La toile « Composition avec tache rouge », réalisée en pleine seconde guerre mondiale (en 1916), découvre à coups de pinceau, la maternité où s’infiltre le rouge intense d’un cœur qui bat. Alors que les maîtres Braque et Picasso lançaient une impulsion visuelle, Maria Blanchard se consacre à introduire de la couleur dans une réelle fiction pour elle, sachant qu’elle n’a et n’aura pas d’enfant. Le fauteuil semble se balancer, et on peut distinguer une silhouette blanche. Est-ce sa colocataire de l’époque, l’artiste russe Angelina Beloff, comme certains experts semblent l’attester. Le cœur que dessine de Blanchard, semble battre et sauter de la toile.  



La série « Maternité », entre équilibre et harmonie

Une année plus tard, Blanchard réalisa la première peinture d’une série consacrée au thème de la maternité. Ce sont des œuvres qui captivent tant par leur style artistique que par leur composition. Ces œuvres figurent de purs exemples de cubisme synthétique. Ce mouvement artistique fait suite au cubisme dans sa version analytique et amène avec lui, une ère plus ludique. On note l’émergence de formes plus simples et de couleurs plus intenses et variées. Les rouges, les jaunes, les verts et les bleus font leur grand retour. Des matières naturelles telles que le papier pour des collages ou encore du sable et de la sciure de bois sont également utilisés. Pour rappel, le cubisme a connu trois époques différentes, le cubisme Cézanien, celui analytique (celui qui caractérise par exemple le travail de Picasso épaulé par Georges Braque) et enfin cette forme qualifiée de synthétique. On peut également s’intéresser à la composition de des différentes œuvres de Blanchard, extrêmement intéressantes. L’artiste utilise des formes géométriques pour représenter la mère et l'enfant. La figure de la mère est représentée avec un triangle inversé, tandis que celui de l'enfant est représenté avec un cercle. En découlent, une réelle harmonie et un équilibre dans une œuvre riche en détails. La couleur est également un élément important de ce travail. L'artiste utilise une palette de couleurs douces et chaudes, comme des variations de roses et de jaunes. Ce choix participe à créer la tendresse d'un moment unique dans la vie d'une femme.

On peut également s’intéresser au contexte dans lequel les peintures ont émergé, en fin de Première Guerre mondiale. Le début du siècle est une période où la maternité et la famille étaient des valeurs très importantes.

Des recherches font état que la silhouette du personnage principal fut inspirée de la propre mère de l'artiste, décédée lorsqu'elle était encore très jeune. Quant à la silhouette de l'enfant, l’hypothèse qu’il s’agit du frère cadet de l'artiste, décédé dans l'enfance, est également avancée.

Revenons sur l’artiste, écorchée vive…

Née à Santander en 1881, même année que le célébrissime Pablo Picasso, Maria Blanchard, malgré une vie courte (elle décèdera à l’âge de 51 ans d’une tuberculose), fut très prolifique et pesa lourdement dans le mouvement cubiste.

Répudiée, fuie, aimée, cette artiste, née avec une cyphoscoliose, souffrit de graves handicaps et disait souvent qu’elle échangerait toute son œuvre en échange d’un peu de beauté. Sa mère, victime d’un accident durant sa grossesse, accouchera d’une petite fille présentant une déformation de la colonne vertébrale. Maria devra vivre avec ce fardeau et il lui sera difficile de marcher. Elle souffrait tant et son profond chagrin, mêlé à la douleur et au rejet provoqué par son physique singulier, l’ont aussi influencée tout au long de ses créations. Face à ces intenses cicatrices émotionnelles conjuguées aux douleurs physiques, l’artiste a trouvé dans la peinture, un échappatoire où elle pouvait exprimer ce qu’elle éprouvait.

L’écrivain Ramón Gómez de la Serna, dira de Blanchard, qu’elle était un peu sorcière, un peu fille cool. Le peintre Diego Rivera décrivit l’artiste qu’ « au-dessus d’un corps difforme, trônait une jolie tête ». Le poète Federico Garcia Lorca a écrit, quant à lui, dans sa « Petite élégie à Maria Blanchard » en 1932, qu’il aimait cette femme, à la si belle chevelure et que cela l’importait peu qu’elle soit bossue. La relation entre l’artiste et son apparence était complexe. Il existe quelques rares photographies de Maria mais également plusieurs portraits réalisés par son amie, la peintre suédoise Tora Vega Holmström. L’artiste avait rejoint la capitale française comme de nombreux artistes à l’époque, comme les peintres Jean Gris et André Lothe, tous intéressés de connaître l’art et de participer aux mouvements artistiques de l’époque. À Paris, Blanchard devint une figure reconnue parmi les différents cercles artistiques.



Le cubisme, comme fil rouge

Blanchard est séduite par le cubisme qui cherche à représenter une nouvelle dimension, celle du temps. La hauteur, la largeur et la profondeur, sont rejoints par cette nouvelle dimension. Blanchard mise très vite sur une gamme chromatique bien plus variée et plus émotionnelle que d’autres artistes du mouvement, comme Pablo Picasso ou Georges Braque. Elle aime aussi donner plus de volume et d’expressivité aux objets qu’elle représente au travers de la technique de peinture « matérique » en ajoutant de grandes quantités de peinture pâteuse sur ceux-ci.

Figure clé dans les avant-gardes artistiques du XXe siècle, à l’arrivée des années 20, Blanchard voit ses créations basculer et prendre un virage important. Elle développe un style propre basé sur la prédominance des figures géométrisées aux visages anguleux, des couleurs plus sombres ou plus acides qu’elle avait déjà utilisées avant sa phase cubiste. Ses œuvres seront alors de puissants hommages aux femmes et aux jeunes filles. La maternité est mise souvent en avant mais parfois elle l’est de manière choquante, dans une atmosphère lourde et pénible, loin des idées préconçues d’une maternité qui se doit être heureuse et source d’épanouissement. Vêtements noirs symbolisant le deuil, ambiance pesante générée par l’obscurité qui se dégage de la toile, où une mère aime son enfant mais qui peut être éprouve des difficultés à l’élever.

Mélancolie et dépression…

Celle qu’Isabelle Rivière, amie et biographe de Maria Blanchard, a décrit comme un oiseau sauvage enfermé dans une triple cage, son "corps torturé", son "cœur avide" et "le monde hostile", évoque aussi la célèbre artiste mexicaine Frida Kahlo, non pas par le style mais par la souffrance qui ne quittera pas l’artiste.

Les œuvres qu’elle généra dans la dernière décennie de sa courte existence seront empreintes d’une grande tristesse et de mélancolie, caractérisant une humeur affaiblie par des épisodes répétés de dépression. Mais définitivement, Blanchard reste la plus importante peintre femme à la fois du cubisme et de l’art espagnol au XXème siècle. Malgré une carrière essentiellement parisienne et une relative bonne représentation dans différentes collections françaises, l’artiste trouvera la reconnaissance bien après son décès. D’importantes rétrospectives ont eu lieu les deux dernières décennies avec notamment une exposition au MAS de Santander en 2008 et au Musée Reine Sofia de Madrid en 2012-13. Celle qui repose pour l’éternité au cimetière parisien de Bagneux, a marqué de sa délicate empreinte, l’histoire de l’art.