Le regard pétillant d’un premier jury professionnel pour le festival

Rédigé le 16/10/2025
Frederic André


À l’occasion du Festival du film français de Málaga, Esprit Sud Magazine a rencontré les membres du jury, Inés Azagra Prego et Montse Ogalla et Víctor Salmerón, pour évoquer leur vision du cinéma francophone, la place du dialogue interculturel à l’écran, la passion qui les anime et leur rôle clé, expérience inédite, dans le futur palmarès. Rafael Robles “Rafatal”, également membre du jury, n’a pas pu assister à tout l’entretien, mais son esprit planait dans la conversation, tant son parcours incarne l’union entre création et passion cinématographique. Pour la première fois depuis sa création, le Festival du Film Français de Málaga s’est doté d’un jury professionnel. Une étape symbolique pour cette 31ᵉ édition, qui consacre un peu plus encore la maturité et la reconnaissance du festival.

Sous le ciel lumineux d’Andalousie, le festival célèbre depuis plus de trois décennies l’intensité du cinéma francophone. Pendant une semaine complète, Malaga se transforme en capitale culturelle où se croisent réalisateurs, acteurs, critiques, journalistes et passionnés. Dans les salles, on entend toutes les langues, mais c’est celle du cinéma qui domine, celle qui dépasse toutes les frontières. C’est dans cette atmosphère de dialogue et d’effervescence que nous retrouvons les membres du premier jury professionnel pour ce beau festival. Dès les premiers échanges alors que l’on évoque le cinéma francophone, les yeux de nos trois complices s’illuminent. Pour Víctor Salmerón, créateur de la communauté Cinema Excelsior suivie par plus d’un demi-million de passionnés de cinéma, le cinéma francophone occupe une place singulière dans le paysage mondial. « Il a cette capacité rare à combiner le regard poétique avec une profondeur sociale. Les films que nous avons vus les derniers jours parlent de mémoire, d’exil, d’amour, de liberté, mais toujours avec cette pudeur qui distingue le cinéma français. On y sent le respect du silence, du non-dit, de ce qui se joue entre les regards». Victor se souvient également de ses années d’études. « Ici, en Espagne, on grandit avec l’ombre d’Hollywood. Découvrir le cinéma français, c’est comprendre qu’il existe d’autres manières de raconter le monde. C’est un cinéma libre, d’auteur, qui ose briser les cadres».



Inés Azagra Prego, journaliste et responsable des émissions en français de Radio Exterior de España comme l’ « Émission en français », ajoute que ce festival permet chaque année de rapprocher deux traditions cinématographiques qui se nourrissent mutuellement. « Le cinéma français et le cinéma espagnol partagent cette volonté de raconter l’humain dans toute sa complexité. À travers les œuvres présentées ici, nous découvrons des récits qui interrogent la société contemporaine, qui confrontent la mémoire collective à la réalité d’aujourd’hui. C’est un échange constant entre deux cultures méditerranéennes, un dialogue visuel qui dépasse les langues. Ce que j’aime dans le cinéma français, c’est sa délicatesse, sa sensibilité, cette capacité à la pause et à la nuance ».

Montse Ogalla, productrice, consultante en durabilité audiovisuelle et vice-présidente de l’AAMMA (Asociación Andaluza de Mujeres de los Medios Audiovisuales), voit dans le festival un espace d’ouverture nécessaire. « Le cinéma, c’est un miroir mais aussi un pont. En regardant un film, on découvre l’autre, on s’interroge sur soi, on apprend à ressentir différemment. Le festival de Málaga nous offre cette chance rare de voyager sans bouger, de ressentir ce que d’autres vivent à des milliers de kilomètres, dans d’autres contextes, avec d’autres histoires, mais toujours avec des émotions universelles. Avec ses scénarios originaux, cette écriture léchée, ces dialogues si bien écrits, le cinéma français fait partie de ceux qui me procurent le plus de plaisir».



Il est vrai que ce qui frappe d’emblée dans nos échanges, c’est la complicité qui émerge de ces trois voix aux horizons variés. « Nous avons des regards très différents, mais c’est justement ce qui rend les discussions si enrichissantes », explique Montse. Inés partage cette impression. « Nos parcours sont éclectiques, mais cette diversité nourrit le débat. C’est stimulant, et je pense que cela ne peut que se refléter dans notre décision finale pour l’attribution des récompenses ». Dans leurs critères, l’équilibre entre le regard artistique et l’impact social revient souvent. « Nous avons décidé de commencer par dresser un top 3 pour chaque prix, puis d’en débattre. Mais il ne s’agit pas seulement de technique ou de mise en scène » nous explique spontanément Víctor. « Ce qui compte aussi, c’est le message, la portée sociale d’un film, son écho dans le monde actuel. Un bon film ne se contente pas de raconter une histoire, il laisse une trace et crée une résonance intérieure. Et dans cette édition, plusieurs films nous ont rappelé que l’art peut réconcilier, qu’il peut apaiser». Pour Inés, « la clé d’un bon juré, c’est avant tout l’enthousiasme et l’amour du cinéma. On peut analyser, comparer, mais au fond, c’est juste une affaire de cœur».

Au fil des projections, le trio nous dévoile avoir découvert la richesse d’une sélection exigeante. Certains films les touchent immédiatement, d’autres nécessitent un certain recul. « Parfois, un simple échange de regard entre nous suffit pour deviner que la même scène nous a bouleversés », confie Inés. Tous soulignent aussi le rôle de transmission du festival. « Être juré, ce n’est pas seulement visionner des films », explique Víctor. « Nous venons d’animer une « master class », échangé avec des étudiants en cinéma, rencontré un public de passionnés et cela a été une expérience incroyable créant un lien humain très fort» complète Inés. Montse ajoute que « le festival nous relie aux spectateurs, à ceux qui viennent poser des questions après la séance, à cette communauté vivante du cinéma».

Dans leur réflexion sur les films à primer, les membres du jury abordent aussi la responsabilité du cinéma face à son époque. « Une grande œuvre, c’est souvent une réaction à son temps », dit Víctor. « On le voit dans les grands festivals, les films récompensés sont ceux qui savent traduire les préoccupations sociales du moment, c’est indéniable ». Inés s’enthousiasme car les sujets de société la touche particulièrement, comme les droits des femmes, la liberté, l’identité. « Ces thèmes nourrissent le débat et font avancer les mentalités, ils sont essentiels».



La surprise fut de taille pour nos trois personnalités lorsque la proposition de faire partie de ce premier jury leur fut faite. « Quand j’ai reçu la proposition, j’ai tout d’abord cru à une erreur », sourit Montse Ogalla. « Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’on pense à moi et il est vrai, j’ai ressenti une joie immense. Le cinéma français m’a toujours passionnée, et me retrouver ici, avec pour mission de regarder des films chaque jour, c’est une chance incroyable que je savoure». À ses côtés, Víctor Salmerón, confie avoir ressenti surtout de la nervosité au début. « J’ai toujours vu les jurys de l’extérieur, sans imaginer un jour en faire partie. C’est une position nouvelle, mais aujourd’hui cette nervosité s’est transformée en enthousiasme. Voir tant de cinéma, c’est une aventure très riche». Inés Azagra Prego, renchérit aussitôt. « Il y a un mélange de trac et de bonheur, l’envie de bien faire, de se montrer à la hauteur. Mais aussi le plaisir de rencontrer des collègues de parcours différents, de découvrir leurs sensibilités. Je suis la seule à venir de Madrid et j’ai été accueillie ici avec une chaleur incroyable».



Montse Ogalla insiste également sur le fait que cette conscience va au-delà des thèmes abordés car elle touche aussi à la manière de produire. Spécialiste des tournages durables, elle milite pour un cinéma plus responsable. « On peut et on doit faire du cinéma sans détruire notre planète. Aujourd’hui, en Espagne, les institutions exigent déjà des plans de durabilité pour obtenir des aides. Le cinéma pollue énormément, souvent sans qu’on s’en rende compte, mais des solutions existent. C’est aussi une question d’imagination, en plus d’un engagement nécessaire ».

Lorsqu’on leur demande ce qu’est pour eux une “grande” œuvre de cinéma, ils hésitent, sourient, réfléchissent longuement. « C’est un tout », s’exclame Víctor. « L’émotion, le propos, la mise en scène… Le cinéma, c’est la somme de toutes les formes d’art, et quand tout s’accorde, on touche à la magie». Inés, poétique, évoque également le rituel d’aller au cinéma. « Le café ou le verre de vin d’après-séance, la conversation qui prolonge le film. Il y a quelque chose de profondément social dans cet acte de se rassembler dans une salle obscure. On partage une émotion collective».

Avant de conclure, chacun cite un grand nom du cinéma français ou un long métrage dans la langue de Molière qui l’a marqué. Pour Víctor, c’est incontestablement le génie d’Agnès Varda, “une cinéaste qui a accompagné mes moments les plus forts de spectateur”. « Portrait de la jeune fille en feu » de Céline Sciamma. Montse, elle, se souvient d’un véritable choc lorsqu’elle a vu « Les amants du Pont-Neuf » avec Juliette Binoche. “Ce film m’a bouleversée, il m’a donné envie de travailler dans le cinéma”. Le cœur d’Inés balance entre Robert Bresson et Michel Ocelot et le film qui lui vient immédiatement à l’esprit est « Beau travail » de Claire Denis.

Ce premier jury professionnel symbolise bien l’esprit du Festival du Film Français de Málaga. On y retrouve l’ouverture, la curiosité, la transmission et la passion du cinéma francophone sous toutes ses formes. Et quand je quitte ce sympathique trio, un mot me traverse l’esprit, c’est la gratitude. Eux aussi évoque cette sensation à l’égar de cet événement de taille dans la capitale de la Costa del Sol. “C’est un privilège de regarder, d’écouter et de débattre, ensemble, au nom de l’amour du cinéma”, conclut en beauté Inés, la pétillante journaliste. À Málaga, la lumière du sud se mêle à la clarté du nord, les accents se croisent, les émotions se confondent. Entre rires et silences, le jury passionné et passionnant du Festival du film français nous rappelle qu’au-delà des langues, des frontières et des styles, il reste une évidence. Le cinéma est une langue universelle, celle du cœur et de la mémoire.