Que devient la Semaine Sainte au XXIe siècle ? Voilà une question qui mérite d’être posée. Nombreux sont ceux qui y voient une tradition figée dans le marbre alors que si l’on s’intéresse de près à cette semaine qui agite le sud de la péninsule ibérique, on découvre tout son contraire. À Malaga, comme partout, cet événement incontournable continue son évolution. La Semaine Sainte se transforme et elle surprend. Esprit Sud Magazine mène l’enquête et s’intéresse à la métamorphose de la Semana Santa. Quels sont les éléments positifs de cette grande transformation et quels sont les points sombres de cette mue, que beaucoup qualifie d’obligatoire…
Il est vrai que si l’on s’amuse à remonter le temps jusqu’aux années 70, on peine à reconnaître la Semaine Sainte telle qu’elle est organisée aujourd’hui. Bien entendu, les images sacrées sont toujours là, indéboulonnables et fièrement dressées, fidèles à leur tradition. Mais il est vrai que le cadre autour de ces festivités a évolué massivement.
La Semaine Sainte s’est modernisée, elle s’est enrichie d’un patrimoine immense et d’une solennité palpable. On peut dire même qu’elle s’est professionnalisée. Elle a gagné en organisation, en mise en scène et à chaque édition, elle va vers plus de précision. Du côté des confréries, l’évolution est également évidente, elles se sont adaptées aux exigences contemporaines avec intelligence.
Certains diront pourtant qu’une médaille a deux côtés avec donc aussi un côté face. A force de perfectionner l’esthétique, de nombreux puristes disent que l’on a perdu une partie de l’âme populaire. Le quartier en ébullition, la proximité entre les voisins, le bruit joyeux des enfants dans les rues, la chaleur de la foule qui s’amasse pour apercevoir la Vierge de l’Espérance ou el Cautivo. Tout cela a fait place à des tribunes réservées, des parcours officiels sécurisés avec mise en place de clôtures qui, il est vrai, isolent plus qu’elles ne protègent. En 2025, on peut parler de deux Semanas Santas, celle des chaises et des balcons se déroulant du Dimanche des Rameaux au Dimanche de la Résurrection, et celle des simples transferts qui précède. Peut-être, est-ce là que réside la réponse à ce besoin d’authenticité que ressentent les Malagueños qui ont connu le temps d’avant.
Ces nombreux transferts sont ces moments plus intimes où les trônes sortent ou rentrent dans leur chapelle. Ces moments périphériques à la semaine sacrée sont devenus, à bien des égards, une autre Semaine Sainte, à côté de la classique. Nettement moins pompeuse, elle se veut plus proche et plus humaine. Le Christ s’offre avec moins d’apparat, la Vierge s’excuse presque de n’être qu’à peine fleurie et la foule évolue plus librement et s’interroge sur l’absence des barrières et de contrôle excessif. Les horaires sont également plus souples et les sorties nettement moins chronométrées. Ces transferts laissent jaillir une ferveur spontanée et permettent le lien entre le sacré et le peuple. Lors de ces sorties préparatoires, les plus anciens éduquent les plus jeunes, on prend le temps de discuter. On puise dans ses souvenirs pour partager les moments du passé, tant chargés d’émotion et on transmet les codes aux générations futures.
Une réelle (r)évolution a débuté à l’époque de Jesús Castellanos, figure incontournable qui initia une forme de "sévillanisation" des processions dans le reste de l’Andalousie et principalement à Malaga. Les trônes vont effectuer une mue, ils deviennent un peu plus petits pour permettre leur entrée dans la cathédrale ou les églises principales. On a aussi réduit la spontanéité des processions avec des répétitions régulières et favorisé un sens majeur de rigueur esthétique. Tous ces éléments ont donné un nouveau souffle à la Semaine Sainte de Malaga. Maintenant, cet esthétisme majeur est une réelle avancée. Ce serait bien malhonnête de ne pas reconnaître les avantages nombreux avec cette qualité des trônes, chaque année plus impressionnants et aux décorations foisonnantes, la richesse musicale ou encore la beauté du parcours officiel. La Semaine Sainte est devenu au fil des dernières décennies un véritable spectacle, une mise en scène qui impressionne, à la hauteur des plus grandes productions hollywoodiennes. Il est vrai que l’on reste sans voix devant un tel protocole.
Mais dans cette quête de perfection, l’excès de contrôle menace peut-être l’essence même de cette fête populaire. À trop vouloir sécuriser, réguler ou organiser, n’en oublie-t-on pas l’essentiel, c’est-à-dire la foi partagée, la convivialité des trottoirs où la foule s’agite en désordre et où l’émotion des regards embués devant une Vierge couronnée envahit les quartiers ? Cette année encore, la polémique enfle autour des accès aux tribunes, vécus comme une confiscation d’un droit ancestral : celui de vivre la Semaine Sainte ensemble. Assis, serré, debout, peu importe, du moment qu’on est là, tous ensemble dans une communion parfaite. Cela crée aussi une croyance à deux vitesses, ceux qui peuvent se permettre les meilleurs places et ceux qui resteront sur le pavé.
Faut-il encore le rappeler, la Semaine Sainte n’appartient ni aux élus, ni aux organisateurs, ni aux experts. Elle appartient à son peuple et rien qu’à lui. La Semana Santa est cette fête à la beauté incomparable créée pour ceux qui pleurent en silence devant un trône, pour ceux qui applaudissent à son passage et pour tous ceux qui prient ou qui, simplement, regardent passivement. Chacun vit la Semaine Sainte comme il désire la vivre. La chose essentielle qu’il convient de garder à l’esprit est qu’il n’y a pas de procession sans dévotion et que la tradition ne peut se perpétrer qu’à travers la transmission des savoirs.
La question du pour ou du contre de cette Semaine Sainte version 2.0 a-t-elle raison d’être? L’évolution fait partie de toute pratique humaine et la Semaine Sainte ne perdra son essence que le jour où l’homme oubliera ses origines, si il oublie d’où cette grande célébration provient. Ce qui est essentiel est également que la Semaine Sainte n’oublie personne et qu’elle reste cette grande fête mêlant les jeunes, les plus vieux, les riches, les pauvres, les locaux, les expatriés, les ouvriers, les fonctionnaires, les croyants et les non-croyants…