Semana Santa en Andalousie, entre secrets et curiosités

Rédigé le 12/02/2024
Frederic André


Esprit Sud Magazine vous plonge dans l’une des traditions les plus enracinées de l’Andalousie. La Semaine Sainte dans le sud de l’Espagne rassemble chaque année des milliers de fidèles pour vivre avec ferveur une gamme de manifestations. Une semaine pour s’émouvoir, 8 jours pour s’imprégner d’un folklore empreint d’art et de beauté, des journées et des nuits pour succomber à l’intensité d’une fête religieuse (mais avant tout populaire). L’Andalousie prend une couleur particulière, s’embaume de fleurs et d’encens et la magie opère… 



La Semaine Sainte, célébration la plus importante de l’année pour les catholiques avec celle de Noël trouve ses origines il y a plus de deux millénaires, avec la mort et la résurrection du Messie. Les chrétiens orthodoxes l’appellent la Grande Semaine (et en Roumanie, la Semaine des Souffrances). Les plus anciennes confréries remontent au Moyen-Âge. Elles rassemblent autour d’idéaux chrétiens des membres manifestant leur profond attachement. Ces groupes siègent dans des chapelles ou églises abritant les effigies et autres reliques du Christ, de la Vierge ou de différents saints. On compte par exemple 60 confréries à Séville, 44 à Malaga, 38 à Cordoue et 32 à Grenade. Au XVIème siècle, l’Église désire rapprocher les liturgies des personnes mais les messes étaient à l’époque en latin. Beaucoup d’illettrés ne comprenaient le moindre mot. La scénographie a paré au problème et les manifestations sont devenues de plus en plus théâtrales. Les cérémonies liturgiques se sont multipliées jusqu’à prendre la forme qu’on leur connaît avec un nombre exponentiel de confréries dans chacune des villes.



Confréries ou fraternités ? Ces groupes étaient à la base bien différents. Les confréries sont apparues pour regrouper des personnes exerçant une même profession. A l’inverse, les fraternités visaient à intégrer des personnes d’origine, de profession ou de niveau social différents. Au fil du temps, toutes les deux se sont attachées au culte d’un saint lié à une paroisse, représentant en quelque sorte leur patron qu’elles priaient et vénéraient. Aujourd’hui, il n’existe aucune différence entre elles, au-delà du nom utilisé.

Le Triduum de Pâques correspond aux jours les plus importants, célébrés du Jeudi Saint dans l’après-midi jusqu’au dimanche de Pâques à l’aube. Cela correspond à trois événements historiques, le Jeudi Saint (où la Cène et l’Eucharistie sont commémorées), le Vendredi Saint avec la passion de Jésus et enfin le Samedi Saint (avec la résurrection de Jésus commémorée se prolongeant le dimanche).

Des figures religieuses de grande richesse artistique (et des pièces d’orfèvrerie de toute beauté) émeuvent. Promenées dans les rues, entourées de bougies et de compositions florales sur les trônes processionnels d’une grande beauté que l’on appelle « pasos » en espagnol, les statues et effigies qui logent le reste de l’année dans les églises et cathédrales sont de véritables œuvres d’art nées d’artistes sculpteurs de renom. 



Les dames en mantille font partie des images fortes de la célèbre semaine. Vêtues de cette étoffe, habit typique utilisé spécialement pour les jours de Passion du Christ afin de montrer le deuil et la douleur, les femmes participent aux processions de ce triste jour. La robe noire accompagne cet ornement de dentelle qui coiffe ces dames et leur confère une élégance rare.

Les nazaréens (aussi appelés pénitents) sont les fidèles et membres de la confrérie qui accompagnent les images lors des processions. Leur costume correspond généralement à une simple toge ou cape et à une cagoule (« capirote» cf plus bas) aux allures de chapeau conique qui dans la majorité des cas, couvre le visage et ne laisse entrevoir que le regard. La couleur de la tenue a également une signification particulière. Elles ne sont pas le fruit du hasard et peuvent être aussi combinées lors de certaines occasions, le rouge symbolisant le sang et la passion du Christ, le violet la pénitence, le blanc la paix ou le bleu l’amour céleste. Quant aux « costaleros » (porteurs), ils transportent les « pasos » ou prestigieux autels sur leur dos dans un effort qui suscite l’admiration. 



Que serait la Semaine Sainte sans ses groupes musicaux et orchestres ? Chaque trône dispose de son accompagnement musical. Les musiciens se réunissent tout au long de l’année pour se préparer pour la Semaine Sainte. Les mélodies traditionnelles aux tons funèbres doivent être parfaites et les tambours et autres instruments doivent être maîtrisés à la perfection pour participer à la liesse collective. Notons qu’il existe également des processions silencieuses où seuls les pas des nazaréens sont entendus. Parfois, ces processions très solennelles provoquant un grand respect s’accompagnent également d’une extinction de l’éclairage public lors de leur passage. 


Les processions ne sont pas les seules manifestations culturelles et religieuses de la Semaine Sainte. Dans certains villages d’Andalousie, la Passion et la mort du Christ sont rejouées par les habitants. De façon théâtrale et avec costumes et accessoires, les différents épisodes de cette histoire religieuse sont recréés. Le Jeudi Saint et le Vendredi Saint, ce grand spectacle appelé « El Paso » et correspondant à l’arrestation de Jésus, le jugement, la flagellation, la crucifixion, impressionnent les spectateurs venus nombreux à Almuñécar, Benalmadena Pueblo ou encore Riogordo.

Rappelons également l’abstention de consommer de la viande le Vendredi Saint. « Le Vigile » est un signe de respect en réponse à la mort de Jésus sur la croix. On prépare souvent des recettes à base de morue, comme des beignets (« buñuelos de bacalao »). De délicieuses pâtisseries refont également surface à l’approche de Pâques comme les succulentes « torrijas » (pain perdu au miel) ou les savoureux pestiños (beignets).

Chaque procession est unique, chaque jour amène son lot de surprises et d’émotions. Voici une sélection des manifestations à ne pas manquer aux quatre coins de l’Andalousie : le « Captif » le Lundi Saint à Malaga, la « Madrugá » de Séville la nuit du Jeudi Saint au Vendredi Saint avec la Vierge de l’Espérance Macarena et celle de l’Espérance de Triana, l’arrivée des Légionnaires à Malaga le Jeudi Saint et la procession du Christ de Mena, la « Borriquita » de Cadix lors du Dimanche des Rameaux, la remontée silencieuse du Darro de la figure du Christ crucifié à Grenade ou encore le « dîner sacré » en procession dans le quartier Polvorín de Huelva le Jeudi Saint. 


Vous en savez un peu plus maintenant sur la célèbre Semana Santa afin de la vivre pleinement. La date de ces célébrations varie chaque année. Elle découle entièrement de la nature et remonte au Concile de Nicée (cf plus bas) où fut conclu que le dimanche de Pâques serait le premier dimanche après la première pleine lune du printemps. Cette année, le Dimanche des Rameaux aura lieu le 24 mars et le Dimanche de la Résurrection le 31 mars, veille du lundi de Pâques. Préparez-vous à une semaine où règne une atmosphère chargée d’émotion. Et comment rester impassible devant tant de beauté et face à une telle dévotion d’un peuple…


1 Les capirotes trouvent leurs origines au Moyen Âge et plus précisément à l’époque de l’inquisition. Cette coiffe n’a donc rien à voir avec le Ku Klux Klan qui l’a récupéré quelques siècles plus tard. Les personnes condamnées par ce tribunal religieux devaient porter un capirote en même temps qu’un sambenito (vient de « saco bendito » qui signifie sac béni), vêtement d’infamie symbolisant la repentance de manière publique. L’apparat servait à humilier ceux qui étaient condamnés pour des délits religieux.

2 Pendant l’Empire Romain, ce concile général d’évêques a eu lieu en 325 à Nicée (actuelle ville de Iznik en Turquie). Il a eu pour objectif de résoudre les problèmes qui divisaient les Églises d’Orient et les problèmes de dogmes.